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Un jour d'hiver...
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Il régnait dans ma chambre une obscurité réconfortante, et un silence paisible, à peine perturbé par les ronflements intempestifs - mais à peine audibles - du Natu dormant sur son perchoir. Un rayon de lumière se fraya un chemin à travers les volets de bois de la fenêtre et vint éclairer la tête de mon lit. Au vu de la luminosité croissante, mes paupières commencèrent à bouger. Mes yeux s'ouvrirent avec une lenteur qui n'était pas inhabituelle. Je tournai la tête vers mon réveil : l'écran digital était éteint. Quelle heure pouvait-il bien être ? Comme à mon habitude, je me dépêchai de sortir de mon lit, d'ouvrir les volets. Je fus ébloui par la clarté du paysage extérieur, et je dus reculer d'un pas pour y voir plus clair. C'était encore le matin, on apercevait encore la lune quelque part dans le ciel. Apparemment, je n'étais pas en retard. Il avait neigé la veille : le paysage était enseveli sous une couche plutôt épaisse de neige, d'une blancheur éblouissante. La route ne semblait pas dégagée... Peut-être le bus ne viendrait-il pas ? J'avançai dans ma chambre, jusqu'au coin où j'avais placé la volière. Natu était déjà éveillé, probablement parce qu'il m'avait entendu. Je m'empressai de lui donner à manger. Il était encore tout petit. Ses plumes vertes lui donnaient une dimension quasi mystique, que je ne me lasserai jamais d'admirer. Son regard était brillant. A chaque fois que je regardais dans ses yeux, je revoyais le petit animal frêle et grelottant que j'avais sauvé du froid un an auparavant. Une nuée de souvenirs resurgit dans mon esprit. Je faillis bien succomber à la rêverie, mais je revins finalement à la réalité : ce n'était pas le moment de me rendormir. Un détail me parut pourtant suspect : ma mère ne m'avait pas appelé pour le petit-déjeuner, comme elle le faisait chaque matin où j'allais à l'école. Je descendis quand même. Les volets étaient déjà ouverts au rez-de-chaussée, et j'entendais la cafetière fonctionner. L'hypothèse d'une coupure de courant était donc exclue. Mais pourquoi donc mon réveil était-il éteint ?
- Déjà ?! s'exclama ma mère en me voyant arriver, surprise, vêtue d'un peignoir, debout devant la cafetière.
- Comment ça, « déjà » ? Il y a école aujourd'hui, non ? demandai-je en bâillant et en me frottant les yeux.
- Alors toi ! Toujours la tête dans les nuages... Tu es en vacances depuis hier soir, je te rappelle !

En vacances ?! Je ne savais plus où j'avais la tête. J'avais intentionnellement débranché mon réveil la veille, afin de ne pas être réveillé trop tôt le matin. Mais l'habitude avait eu raison de toutes mes précautions. J'hésitai à remonter, et puis je me dis que je n'arriverais de toute façon pas à me rendormir. « Autant profiter de la matinée pour s'entraîner », pensai-je. Je déjeunai à la hâte, et me dépêchai de me préparer. Je m'habillai chaudement, j'allai chercher mon Pokémon, qui était toujours au même endroit. Natu maîtrisait déjà l'attaque Téléport, ce qui nous permit de nous déplacer sans trop d'efforts. Je lui ordonnai de rejoindre le terrain de football du village. Malheureusement, nous atterrîmes devant le collège... C'était justement pour cela que je voulais l'entraîner : il savait se téléporter, mais jamais au bon endroit. Après quelques essais, nous atteignîmes respectivement la mairie, puis la maison de mes grands-parents, avant d'arriver finalement au terrain de football municipal. Heureusement, toute l'herbe était recouverte de neige, donc le terrain était désert. Cela m'évitait de devoir disputer des combats avec d'autres dresseurs. Je ne doutais pas des capacités de Natu, mais celles-ci n'étaient visiblement pas suffisantes pour vaincre les quelques Medhyena de nos adversaires.

Pour commencer l'entraînement, je déballai du sac de sport que j'avais emporté une poupée en forme de Boustiflor. Je l'installai quelque part au centre du terrain, puis j'ordonnai à Natu de se téléporter au-dessus d'un but. Une première tentative le transporta sur mon épaule droite, ce qui me déstabilisa légèrement ; à la seconde tentative, il arriva enfin sur la barre transversale de la cage de but.
- Envole-toi, et ensuite Picpic !

Il s'exécuta sur-le-champ. Il ouvrit des ailes, visa sa proie, sauta de la barre métallique qui lui servait de perchoir, et descendit à une vitesse vertigineuse en direction de la poupée. Le faux Boustiflor fut entaillé de quelques dizaines de coups de bec, qui le propulsèrent trois mètres plus loin. Natu entama une ascension verticale, avant de se retourner en l'air pour rejoindre la cage de but. Je voyais à ses yeux étincelants qu'il était fier de lui. Moi aussi j'étais fier de lui. Hélas, la poupée était complètement détruite... Il me faudrait en racheter une nouvelle. En attendant, je décidai de prolonger l'entraînement. Je disposai aux quatre coins du terrain des petits plots de couleur que j'avais également emporté.
- Tu sais ce qu'il te reste à faire, lui dis-je en lui faisant un clin d'œil, lui indiquant que j'avais confiance en lui.

Une fois de plus, il me comprit aussitôt, et s'exécuta. Il disparut instantanément, pour réapparaître sur l'un des quatre plots. Il se téléporta ainsi de plot en plot, sans dériver de sa trajectoire. J'étais content de voir qu'il arrivait enfin à contrôler ses mouvements. Après une dizaine de ces pérégrinations, il se mit à neiger, c'est pourquoi je décidai d'interrompre notre entraînement.
- Allez, viens, on rentre Natu, lui dis-je.
- Natuuu ! répondit-il.

Je rangeai tout mon matériel. Pendant ces quelques minutes, Natu observait attentivement chaque flocon qui tombait du ciel. Son esprit cependant semblait ailleurs, mais je pensai que ce n'était là que pure curiosité. Lorsque j'eus tout soigneusement emballé, je tournai la tête vers mon Pokémon. Il regardait toujours le ciel, les flocons qui tombaient, figé là, immobile à tel point que je me demandais s'il respirait encore. Je m'assis devant lui, le regardant droit dans les yeux. Il ne bougea pas. Son regard était vide. Ses larges pupilles noires étaient dilatées à l'extrême. A l'intérieur de celles-ci semblait flotter un liquide arc-en-ciel. Soudain, ses pupilles s'affinèrent instantanément. Elles prirent la forme d'un faisceau oblong de la finesse d'un cheveu, sinon moins. Je tentai un pas en arrière afin de m'éloigner, sous l'effet du choc, mais j'étais comme paralysé. En quelques fractions de secondes, mon esprit s'enfonça dans le gouffre brillant de ses pupilles. Aussitôt, je ne voyais plus que le noir de ses yeux, en haut, en bas, à gauche, à droite, tout était sombre. Je ne voyais plus ni lui, ni moi.



Finalement, l'obscurité se dissipa lentement. Je voyais devant moi une forêt enneigée. J'étais quelque part, perdu entre des arbres qui me semblaient hauts de plus d'une centaine de mètres, aux cimes dénudées et aux larges branches dépourvues d'un quelconque feuillage. Toute la végétation était recouverte d'une épaisse couche de neige, si bien que l'on ne voyait plus le sol sous ses propres pieds. Des flocons tombaient par myriades du ciel, et se trouvaient aussitôt emportés par un blizzard des plus puissants. J'étais debout, au milieu de nulle part. Faisant face aux bourrasques de vent, je rabattis systématiquement mes deux bras devant ma tête. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque je constatai qu'au lieu de mes bras je possédais soudain de petites ailes vertes ! Cela me fit réfléchir. J'examinai chaque partie de mon corps : mon visage se terminait par un petit bec pointu, mon corps entier était recouvert de plumes verts, mes jambes se terminaient par de petites serres... J'étais dans le corps d'un Natu. Je reconnus à une petite cicatrice cruciforme dans l'intérieur de l'aile droite qu'il s'agissait du corps de mon propre Natu. Etait-ce une vision ? Probablement. A vrai dire, je ne connaissais pas encore la véritable envergure des pouvoirs psychiques de mon Pokémon. Mais pourquoi m'avoir transporté ici, à ce moment là ?

Le vent soufflait de plus en plus fort, si bien que chacune de mes ailes se mit à trembloter en cadence, et que je dus me recroqueviller aussi bien que je le pouvais, derrière mes petites ailes. Je me résolus finalement à me cacher derrière un arbre, pour échapper au vent. Toutefois, je continuais de frissonner, et j'entendais mon cœur battre du mieux qu'il le pouvait, à grand-peine. Je ne voyais nulle part de quoi me ravitailler, et mon estomac criait famine. Je commençais à me dire que je périrais sous ce froid atroce. Soudain, alors que je commençais à perdre la sensation de mes propres jambes, je vis trois humains traverser la forêt sur leurs bicyclettes, chaudement vêtus, slalomant entre les arbres et riant aux éclats. Les deux premiers avaient foncé tout droit sans me voir. Je voulus attirer l'attention du dernier par un petit cri, mais j'avais perdu ma voix sous l'effet du froid. Je commençais à perdre espoir, quand, se relevant d'une chute, le troisième garçon tourna la tête vers moi. A travers les plumes de mes ailes, qui se raidissaient de plus en plus, j'entrevis son visage. C'était le mien ! Le garçon s'approcha de moi, s'accroupit à une vingtaine de centimètres, ôta sa veste et m'y emmitoufla doucement. Il me prit dans ses bras, me soufflant quelques paroles qui me paraissaient formulées dans une langue étrangère. Il me regarda dans les yeux, et mes paupières se rabattirent alors qu'il me blottissait contre lui.

Lorsque je recouvrai la vue, j'étais encore sur le terrain de sport, en face à face avec Natu. Il m'avait permis de revoir en songe le jour où je l'avais sauvé du froid, il y avait un an. Je n'avais jamais pu m'expliquer comment il était arrivé là, ayant toujours entendu que Natu et Xatu vivaient dans la savane, mais j'étais encore plus fier de moi après avoir revu ces images. Etait-ce là sa manière à lui de me remercier ? J'aperçus une petite larme adamantine couler de ses yeux. Je le pris dans mes bras, comme je l'avais fait ce jour-là, il y a un an, et je décidai que nous rentrerions à pied, profitant du fait que le vent avait fini de souffler. Je me levai, mon Pokémon dans mes bras. Après quelques pas, Natu se libéra et s'envola, décrivant de magnifiques arabesques dans l'air, dansant entre les flocons qui tombaient. Il paraissait d'une légèreté incroyable, et ses mouvements me laissèrent comprendre qu'il était heureux. Un sourire se dessina sur mes lèvres. J'aurais tellement aimé que cet instant dure une éternité...


* * *


Depuis ce jour où j'ai pris conscience de la cruauté de la nature à l'égard des plus faibles, n'hésitant pas à assassiner des êtres innocents de sa main glaciale, je n'éprouve que du mépris envers ceux qui passent sans agir, envers ceux qui laissent la nature accomplir son sombre dessein, pensant que c'est le destin de l'homme de survivre et de festoyer, tandis que celui des autres espèces est de sombrer dans une solitude qui à terme leur sera fatale. Je n'ai toujours pas trouvé d'explication à l'apparition de ce Pokémon de la savane dans nos forêts enneigées, mais plus j'y pense, et plus je me dis que c'est le destin qui nous a guidés l'un vers l'autre, et c'est une rencontre que je ne regretterai jamais.
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